Henri Matisse et Baudelaire : une rencontre artistique unique aux Mascareignes
Plus d’une quarantaine d’œuvres d’Henri Matisse seront réunies pour la première fois, grâce au précieux concours d’Emmanuel Richon, Conservateur du Blue Penny Museum et Monsieur Dorian, Coordonnateur de l’exposition.De cette amitié est née l’idée de représenter Matisse à Maurice autour des poèmes des Fleurs du Mal de Charles Baudelaire, consacrés aux îles Mascareignes. Cet événement culturel majeur, le premier du genre dans l’hémisphère Sud, est exceptionnel pour le public mauricien, adepte d’Art et de Culture.
Baudelaire et son voyage à Maurice : Une immersion dans l’histoire littéraire
- Bord de canal près de Bohain (1903), huile sur bois
- Lydia dans le miroir, dessin à l’encre
- Photographies du voyage de Matisse à Tahiti
- Gravures issues de Jazz (1947), une œuvre aux pochoirs
Chaque pièce témoigne du dialogue subtil entre poésie et peinture, où Matisse explore les correspondances baudelairiennes en jouant sur les formes et les couleurs.
Henri Matisse : Un génie de l’art moderne exposé à Maurice
En 1841, le beau-père de Charles Baudelaire, le général Aupick, décide d’envoyer son beau-fils en voyage aux Indes pour l’arracher à la délétère influence de la vie parisienne. Charles embarque le 9 juin 1841, à Bordeaux, à bord du Paquebot-des-Mers-du-Sud, à destination de Calcutta. Le 1er septembre, le navire atteint l’Île Maurice, où Baudelaire est accueilli par M. et Mme Autard de Bragard, colons d’origine française, chez qui il va séjourner une quinzaine de jours.
Le poème « Déjà » (Le Spleen de Paris, Petits Poèmes en prose), donne une idée de l’état d’esprit du poète à l’arrivée à Maurice après trois mois de mer sans escale : « C’était une terre magnifique, éblouissante. Il semblait que les musiques de la vie s’en détachaient en un vague murmure, et que de ses côtes, riches en verdures de toutes sortes, s’exhalait, jusqu’à plusieurs lieues, une délicieuse odeur de fleurs et de fruits. » Il décide ensuite de mettre fin à son voyage pour les Indes et de repartir en France. Le 19 septembre 1841, il débarque à Bourbon pour une ultime et longue escale avant le voyage du retour vers la métropole, qu’il atteindra le 15 février de l’année suivante.
Le 20 octobre 1841, encore à Bourbon, il adresse une lettre à M. Autard de Bragard à laquelle il joint À une dame créole, en l’honneur de sa femme : « Vous m’avez demandé quelques vers à Maurice pour votre femme, et je ne vous ai pas oublié. Comme il est bon, décent, et convenable, que des vers, adressés à une dame par un jeune homme passent par les mains de son mari avant d’arriver à elle, c’est à vous que je les envoie, afin que vous ne les lui montriez que si cela vous plaît. » De son voyage on trouve l’écho indubitable dans La chevelure, Le serpent qui danse, Moesta et Errabunda, La musique, Correspondances, La vie antérieure ou Sed non satiata, évidemment Le voyage. En fait, près de la moitié de ses poèmes en vers ou en prose sont consacrés ou évoquent son périple dans l’océan Indien.
Pasiphae, Et je me reposerai enfin dans le rien que je convoite gravure sur linoleum 1944 – Crédit Photo : BPM
Matisse et Baudelaire : Une rencontre artistique et poétique unique à l’île Maurice
C’est en 1944 que Les Fleurs du Mal de Baudelaire sont représentées par Matisse. 34 poèmes, illustrés, par des visages de femmes, ainsi qu’un portrait de l’artiste et un autre du poète. Ces compositions orneront l’édition de 1947, publiée par La Bibliothèque française. Matisse joint le poème À une Malabaraise qui ne faisait pas partie des Fleurs du Mal. Il choisit des modèles lui permettant de s’attacher à une certaine idée de la culture créole. L’époque s’y prête, Joséphine Baker est à son apogée, Sidney Bechet s’établit en France.
Matisse dessina donc ces visages au crayon gras destinés à être reportés sur la pierre à lithographier. Cela fut, au final, impossible… les œuvres ayant été abîmées par l’ouvrier lithographe. Matisse, l’ingénieux, avait photographié les compositions avant de les envoyer au lithographe. Il fut malheureusement impossible, avec ces copies, de retrouver le caractère d’improvisation des dessins originaux. Matisse a donc décidé de conserver le procédé de photo-lithographie qui préservait toute la fluidité de son inspiration première.
Portrait, dessin à la mine de plomb sur papier – Crédit Photo : BPM
Fleurs dans un vase, peinture à l’huile sur toile 55x38cm, 1903 – Collection particulière en dépôt au Musée Matisse du Cateau Cambrésis
Luxe, calme et volupté : L’influence de Baudelaire sur les œuvres de Matisse
À partir d’un vers de L’invitation au voyage, Matisse peint l’île paradisiaque des rêves de Baudelaire. Véritable rapport esthétique entre un poème et un tableau, séparés par un demi-siècle. Il est nécessaire de partir de l’évidence de l’influence de Baudelaire, de montrer qu’elle passe par une idée commune de l’Art, et par des affinités réelles. Mais également par des fondements théoriques, comme la théorie des correspondances, que Baudelaire met au point dans Les Fleurs du Mal.
Que, bien au-delà de la perception, il y a les sens ! Les cinq…, ceux qui renvoient à une unité du monde, que l’on pourrait qualifier d’étrange. Les couleurs, les parfums, les sons communient dans des modalités de perception différentes. Deux activités totalement dissemblables, mais qui se rejoignent dans une œuvre propre à Matisse, qui dépasse de loin la simple illustration. Dès ses débuts, Matisse fit preuve d’une grande maîtrise. On retrouve dans ses portraits, l’essentiel de ce qui fera son œuvre, son utilisation si particulière de la ligne et de la grande simplicité des formes, associée à la poésie baudelairienne. Matisse ne dessine pas un contour qu’il remplirait ensuite de couleur : un aplat de couleur unique. Tout au long de sa vie, il a cherché à simplifier les formes pour ne donner à voir que l’essentiel.
Parmi les peintres français les plus célèbres, Henri Matisse est sans doute celui qui a le plus été influencé par la poésie. Il en conçoit autant une inspiration esthétique qu’une source inépuisable d’illustrations. De son côté, Charles Beaudelaire, suivant en cela Denis Diderot un siècle plus tôt, est certainement durant toute sa courte vie, l’écrivain et poète français le plus sensible à l’esthétique, assurément un critique hors pair… Que l’artiste ait décidé de s’intéresser puis de s’inspirer de l’auteur des Fleurs du Mal, n’avait donc rien de particulièrement étonnant… la rencontre était prévisible.
D’ailleurs, la poésie, par elle-même, n’est-elle pas un acte éminemment esthétique, autant musical que plastique, maniant les mots et leur sonorité, leur rythme, leur graphie, comme le ferait la sculpture sur tout médium d’expression ? Quant à la peinture elle-même, par les synesthésies, Beaudelaire parlait même de « correspondances ». Elle évoque toujours une atmosphère particulière qu’il est plus que juste de comparer à celle d’un poème.
Les deux vécurent également l’expérience d’un voyage initiatique. Aragon dira à Matisse qu’il ne serait pas lui-même sans la Polynésie. Quant à Beaudelaire, son périple dans l’océan Indien et son séjour aux Mascareignes auront une résonance certaine et durable sur toute son oeuvre poétique. Aussi, rapprocher les deux génies de la littérature et de l’Art français pour les associer au sein d’une même exposition, nous a paru judicieux et fondé, dixit Emmanuel Richon et Monsieur Dorian.
Cette exposition est une réunion d’œuvres dont la somme est un tout inédit : mélange de découverte, de compréhension, de vérité, qui n’apparaîtront précisément qu’aux murs de l’exposition. À voir absolument ! L’exposition sera agrémentée d’un album en couleur sur le sujet.
L’enterrement de Pierrot, Jazz, Oeuvre aux pochoirs, 1947 – Crédit Photo : Archives Matisse
Lagoon, planche 17, Jazz, oeuvre aux pochoirs, 1947 – Crédit Photo : Archives Matisse
Le lanceur de couteaux, Jazz, oeuvre aux pochoirs, 1947 – Crédit Photo : Archives Matisse
Les Codomas, Jazz, Oeuvre aux pochoirs, 1947 – Crédit Photo : Archives Matisse
Icare, Jazz, oeuvre aux pochoirs, 1947 – Crédit Photo : Archives Matisse
Informations pratiques
Lieu : Blue Penny Museum, Le Caudan Waterfront, Port-Louis, Île Maurice.
Dates : Du 15 avril au 11 juin 2022.
Horaires : 10h00 – 16h30.
Entrée : Gratuite.
Contacts :
- Emmanuel Richon, Conservateur au Blue Penny Museum -Le Caudan Waterfront, Port-Louis – Ile Maurice : +230 210 92 04
- Dorian, Fondateur-directeur